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A une époque, par la magie de la Publicité, prendre le métro parisien était synonyme d’aventure et de dépaysement. De magnifiques campagnes de publicité nous « transportaient » (si je puis dire) et repositionnaient le ticket comme le signe extérieur d’un service « chic et choc ». Mais ça c’était avant.
En bon parisien, Le métro fait partie de ma vie et ce depuis toujours. Depuis mes premiers souvenirs d’enfant, le métro a toujours été présent : l’odeur du carborundum, les portillons qui bloquent les usagers et l’accès au quai, le poinçonneur de tickets à l’entrée, la chant des cigales dans certaines stations, les distributeurs de pastilles Vichy, les wagons rouges et verts, leurs sièges en bois, les ampoules au plafond et les portes qui s’ouvraient avant l’arrêt total de la rame ; ce qui nous permettait de sauter dans le sens de la marche (sinon, gros risque de gaufrage). D’ailleurs, Le métro fait partie de la vie de tous les parisiens. Ça c’était mon paragraphe Amélie Poulain. Mais, déjà, à l’époque, pour être vraiment honnête, le métro puait.
Par le passé, en tant que graphiste, j’ai beaucoup travaillé pour cette vénérable institution coincée entre un syndicalisme post-front populaire et une soif d’innovation jamais étanchée. A l’époque, la RATP nous fournissait tous les médias (typographie incluse), des chartes graphiques encyclopédiques et surtout le logiciel de mise en page pour éviter que son nom soit associé à un quelconque piratage. Bravo. J’ai œuvré pour un de ses journaux internes : Entre Les Lignes. J’y ai publié quelques illustrations et avec mes camarades de l’époque, travaillé sur la mise en page. J’ai aussi travaillé pour la ligne 10, notamment quand les vieilles rames montées sur pneumatiques furent remplacées. Que de bons souvenirs graphiques. J’aime le logo de la RATP. Ce fantastique logotype de la Régie Autonome des Transports Parisiens date de 1991 et est, lui aussi, une promesse qui ne peut plus être tenue : mettre l’humain au cœur de la ville. On dit que le vert d’eau a été choisi en fonction des rideaux de la femme du PDG de l’époque. Mais c’est, bien sûr, un bruit de couloir (de métro).
Cette fabuleuse invention née en 1900 couvre l’ensemble de la ville et permet de se déplacer facilement et rapidement. Aujourd’hui, on compte 1,479 milliards de voyages par an, soit 4,1 millions d’usagers tous les jours. La promesse d’un voyage fabuleux a disparu à mesure que le nombre d’utilisateurs s’est démultiplié. Parallèlement, pour notre plus grand malheur social, le nombre de SDF a doublé en 10 ans. Cette population dans la misère se concentre forcément dans les grandes villes pour pouvoir survivre. Elle n’hésite pas à prendre le métro pour rester en vie et au chaud pendant l’hiver. Normal, quand il est question de survie, resquiller est un moindre mal et je trouve ça normal et charitable d’ouvrir gratuitement le métro à tous ceux qui n’ont plus rien. Ce que font gentiment les agents de la RATP. Moi, par contre, j’ai tout. J’ai donc aussi le droit de payer 2 euros un ticket. Resquiller m’expose au risque d’être verbalisé. Malgré les apparences, ai-je réellement les moyens de m’offrir ce droit d’entrée ? Qui sait ? Je n’ai, en tout cas, pas la tête d’un nécessiteux. D’une certaine façon, la RATP gère ses droits d’accès selon l’aspect extérieur de ses usagers. Où est la justice et l’équité ? Pourquoi le métro n’est-il pas gratuit pour tout le monde ?
Hier, j’ai pris le métro : 45 minutes aller et 45 minutes retour. J’ai eu le temps d’être sollicité 3 fois par des nécessiteux dans le besoin, d’être interpellé 2 fois par la même femme qui portait son enfant sur le ventre. Des mauvaises langues diront qu’il lui fallait rentabiliser la location de l’enfant. Pour ma part, je ne le crois pas. Un jeune homme (très jeune) est sorti de la rame, pieds nus et en tee-shirt troué, son sac de couchage sous le bras. Un homme ni saoul, ni apparemment dans le besoin, chantait à tue-tête la Marseillaise, apostrophait ses voisins avec un ton à mi-chemin entre Bourvil et Louis de Funès. Avait-il oublié de prendre ses gouttes ? Nul ne sait… Mais quand la rame est restée bloquée à Porte de Saint Cloud pour « incident d’exploitation » (rien de très nouveau pour un habitué). Ma réincarnation de Bourvil s’est mise à insulter ouvertement le conducteur. Pour le plus grand plaisir de mes co-voyageurs. Bref, pour un budget de 2 euros, j’ai pu renouer avantageusement avec l’aventure promise publicitairement par la RATP.
Au final, ce qui me choque vraiment, c’est la cohabitation d’une misère profonde (l’usager prend le relai de nos institutions qui devraient pouvoir éradiquer la misère) avec un bombardement publicitaire m’invitant à dépenser tous mes sous dans de l’immobilier tunisien, des vacances dépaysantes ou une promo réservée aux adhérents Fnac. Consomme ou soit pauvre. Pourrait-on, à défaut de rendre le métro gratuit, retirer ces panneaux qui m’agressent à longueur de voyages et qui permettent à la RATP de substantiels bénéfices ? Bien évidemment, ce sont les pubeurs (comme moi) les plus virulents quand il s’agit de se battre contre l’agression publicitaire.
Le métro parisien compte 302 stations. En moyenne chaque station compte 10 panneaux publicitaires (et je ne parle du panneau tronçonné en 7 petites affiches de théâtre). On a donc, hors couloirs, écrans numériques et publicités dans les rames au moins 3 020 panneaux publicitaires. Bien sûr, Métrobus qui gère ces panneaux reste discret sur les prix des locations d’espace mais annonce publiquement qu’elle gère 60 000 faces (et 10 formats possibles). Le système est simple. Si vous souhaitez louer des panneaux publicitaires, le temps de location est de 7 jours et le nombre de faces louées varie de 480 à 160 panneaux (selon de vieilles infos, sans doute dépassées). D’après le Parisien, la RATP faisait un chiffre d’affaires de 5,555 Milliards d’euros et annonçait un résultat net de 437 Millions d’euros en 2015. Au premier semestre 2017, la RATP annonce une augmentation de son chiffre affaires de +1,3 %. Je me demande où va cette manne financière ? Sachant que l’investissement pour renouvellement du matériel et entretien apparait déjà dans ses comptes. Il est vrai que la RATP fût longtemps en déficit et que des dirigeants avisés souhaiteront mettre un peu de flouze de côté. De son côté Métrobus (l’entreprise qui gère les espaces publicitaires du Métro) annonce pour 2016 un CA de 157 058 382 Euros. Pour résumer, il me faut payer 2 euros pour avoir droit d’être exposé au bas mot (et en moyenne) à au moins 150 messages publicitaires par voyage. Quelle est la légitimité de la RATP à vendre des espaces publicitaires et nous contraindre (sans notre consentement) à y être exposé ? Comment y survivre ? Une vraie compensation serait… d’offrir la gratuité pour tous (j’y reviens). A défaut, une petite baisse des prix serait la bienvenue. De toute façon, les plus nécessiteux ne paient pas et les plus riches ne prennent pas le métro.
Avec 4 millions d’usagers au quotidien, on imagine que la RATP peut juste essayer de faire face. Les pannes, les incidents se démultiplient des écrans répartis un peu partout dans les couloirs vous indiquent les « accidents usagers », « problème de régulation »… Etc. La RATP n’y peut plus grand-chose. Elle essaye de faire face. Et quand on annonce un suicide sur les lignes, à l’heure de pointe, nous réagissons tous de la même façon : « Pfff, fait chier, il aurait pu rester chez lui et se suicider tranquillement aux médicaments ». L’usure fait disparaître l’empathie.
L’équation est simple : si tu retires les automobiles des rues de Paris (le projet avoué d’Anne Hidalgo), tu remplis le métro. Oui mais jusqu’à où, jusqu’à quand ? Demandez, par exemple, aux usagers de la ligne 13, ce qu’ils pensent de la qualité et du taux de remplissage de leur ligne. Sur certaines lignes, on est arrivé à des intervalles maximums de 2 minutes entre chaque rame bondée (semaine comme week-end). Peut-on faire mieux sans danger ? On remarquera ici que les minutes annoncées par la RATP ont souvent une temporalité variable. 1 minute pouvant être égale à 30 secondes voir à plus de deux minutes (en minutes stables et vérifiées). La RATP nous trompe sur le Temps !
C’est un fait, il y a trop de gens dans un métro qui ne peut pas faire relâche, ni s’arrêter. Le rêve du ticket chic s’est donc envolé aussi vite que nos fantasmes de « seconde voiture ». Le métro n’est plus un rêve et mérite largement son qualificatif argotique de « mange-morts ». Ce n’est pas une attaque en bonne et due forme contre la Régie Autonome des Transports Parisiens. Car, quoiqu’il arrive, j’utiliserai le métro et beaucoup de mes concitoyens aussi. Je me permets seulement de rappeler à la RATP qu’il existe un contrat qu’elle passe entre elle-même et son usager quand celui-ci s'engage via la portillon ticket en main. Dans ce contrat qu’aucun utilisateur n’a jamais lu (ni même vu - mais qui existe), il est stipulé que la RATP doit faire voyager en toute sécurité et surtout dans de bonnes conditions l’usager quand il a payé son tître de transport. Est-ce la réalité ? J’en doute. Au début du mois de Janvier dernier : « L’association SOS Usagers et le syndicat Unsa RATP dénonçaient l’insécurité grandissante dans le métro parisien due au trafic de drogue et aux « toxicomanes souvent agressifs et dangereux » (d’après 20 minutes). Il est donc assez malvenu de diffuser régulièrement des campagnes contre l’incivilité ou la resquille sachant que la RATP, elle-même, ne respecte pas ses engagements. Elle nous culpabilise, montre du doigt l’usager, alors qu’elle devrait publiquement faire son mea culpa quand a la baisse de qualité de ses prestations et le non-respect de ses engagements. Pourtant, je me retrouve comparé parfois à un phacochère ou à une grenouille. Parfois aussi, un Alien gluant me souffle à l’oreille des ordres de désobéissance civiques. Bizarrement l’Alien a l’air top cool et le désobéissant ultra branché… Ce visuel rend plutôt « trendy » l’infraction. Dans les 2 cas, ne suis-je que du bétail à transporter pour la RATP ? A cela, rajoutons de multiples bévues et autres messages sémantiquement douteux diffusés sur les quais : « Pour ne pas tenter les pickpockets… etc. ». A n’en pas douter, les pickpockets «ne peuvent pas se retenir ». Ils sont donc à priori malades et déjà presque pardonné de leurs petits travers.
Bref, la RATP, alors qu’elle est enfin devenue rentable, n’en peut plus. Ses usagers non plus. Son matériel n’est pas prévu pour accueillir autant de monde. Son prix prohibitif ne correspond pas à la qualité attendue. Alors que va faire la RATP ? Comment va-t-elle imaginer le voyage contemporain, le métro 2.0 ? Tout reste à faire, car pour l’instant, le métro c’est la Mort !