Les récentes manifestations des Gilets Jaunes ont remis la contestation à la mode. Ce mouvement est tellement protéiforme qu’il est presque tout sauf « un » mouvement. On pourra le synthétiser en disant que ce sont des gens pas contents qui se rassemblent. Au-delà, on est en pleine subjectivité. Ces Gilets Jaunes qui « revendiquent et contestent » (pour citer Jacques Dutronc) sont à l’image de notre société. Chacun y va de sa revendication personnelle sans se soucier du collectif. Souvent dans la représentation, à chaque fois dans l’approximation et le cliché. On perçoit, de loin, ce que l’on croit être une classe moyenne (dans sa tranche basse) désespérée tant la Vie est devenue compliquée pour elle. Ils « veulent », on leur doit, ils ont le droit… Point. Plus profondément, les Gilets Jaunes en ont marre de ne pas être représentés ni écoutés. Même s’ils n’ont pas forcément quelque chose à dire. Ce qui suit, n’engage que moi et moi-même.
Une chose est sûre, les « autres » doivent les écouter au risque d’en faire les frais… Les autres pouvant être une classe politique déconnectée du réel ou un paysage médiatique qui fait affaire entre membres du club. Les autres peuvent être - aussi - les patrons, la classe moyenne dans sa tranche supérieure, les « riches », l’élite intellectuelle… Etc. Et plus bizarrement « les pauvres ». Ces derniers risquant d’être emportés avec le ras-le-bol général provoqué par la récurrence des manifestations. Pourtant, les Gilets Jaunes sont les derniers « vrais » consommateurs français loin de nos modes de consommation de bobos parisiens. Ce sont ceux qui fréquentent les hypers, les super et autres solderies. Ils ont ce réel pouvoir économique dont ils n’ont pas encore pris conscience. La sanction par le porte-monnaie pourrait être une possibilité même si on n’y trouve que des pièces… Jaunes. En ont-ils conscience ?
Si on se réfère aux dernières manifestations, les Gilets Jaunes sont autour de 100 000 manifestants pour toute la France… Soit une représentativité de -1% de notre belle population. D’aucuns diront que c’est juste la face visible de l’iceberg mais étant donné qu’ils ne sont ni structurés, ni organisés, tout ceci reste juste des suppositions. De qui sont-ils les représentants ? D’après La Croix : « Ceux-ci se recrutent essentiellement parmi les classes populaires et intermédiaires plutôt peu diplômées et exerçant des métiers manuels. » et puis plus loin d’ajouter : « On relève aussi parmi les « gilets jaunes » la présence de plusieurs générations » et enfin « La forte mobilisation des femmes est une autre caractéristique du mouvement ». On résume, ils sont fauchés, ils n’ont pas beaucoup de culture, ils sont d’âges différents et il y a beaucoup de femmes. Oui, définitivement, les « invisibles » prennent - enfin - la parole.
A l’image de la télé-réalité les Gilets Jaunes sont aussi « contre » pour la beauté de la prise de position qui « sonne » à leurs propres oreilles et à celles de leur entourage proche. Ils ont peut-être pris conscience que la Révolution devra être "télévisée" (contrairement à la prophétie de Gil Scott Heron). On peut donc dire d’une façon un peu triviale qu’ils contestent pour eux… Mais aussi « pour la Galerie » et qu’au final, ils sont prêts à assurer le spectacle et à en faire la promo via les réseaux sociaux. On peut être pauvre mais rester fun. Un peu, aussi, comme un enfant qui découvrirait l’usage de la parole et qui répéterait des mots « empruntés » pour attirer l’attention sans en comprendre le sens. Un peu, aussi, comme une Nabila excédée (on en revient à la téléréalité) : « Non mais allô quoi, je vais hyper mal ! ». Au final, ils ne veulent ni entrer en politique ni vraiment s’expliquer. Ils n’ont aucune proposition ni plan. « Ils en ont marre » comme principe de base et restent encrés dans leur époque. Un fondement qu’il est impossible de questionner par les non-gilets jaunes. Un fondement qui justifie tout et leur offre une forme de légitimité. Être malheureux te donne tous les droits dont celui de manifester et éventuellement (pour certains) de tout casser. Ceux qui ne sont pas dans la misère « ne peuvent pas comprendre ». C’est l’argument qui m'a été opposé quand j’ai osé poser une question provocante (et une peu nulle) sur les réseaux sociaux : « Peut-on être un beauf et faire la révolution ? ». Un petit peu comme si j’appelais l’image « épique » du Che en parlant de Révolution et que ce sont les Bidochons qui me répondaient, fiche de paie à la main. Là, à mon sens, est une grosse partie du problème. La posture et le plan à long terme. Il ne faut pas faire "un peu" la Révolution. Il faut l’incarner et pas simplement sur les réseaux sociaux.
Mais incarner la Révolution n’est pas un passe-temps. C’est une mission 24 heures sur 24. Les Gilets Jaunes ne manifestent que le week-end pour ne pas avoir à pauser des RTT. Et quand on entre en période des congés payés, les ronds-points se vident. Étrange. C’est comme si, ils continuaient, quoiqu’il arrive, à reconnaître l’autorité de leurs employeurs ou donneurs d’ordre. On en veut aux méchants riches… Oui mais pas trop parce qu’il faut bien que quelqu’un signe le chèque à la fin du mois. Il n’est donc pas question de tout changer, juste d’obtenir de meilleures conditions et si possible une augmentation. L’utopie d’un monde meilleur a déserté les consciences. On est juste dans une forme de survie dans une société où on n’a, de toute façon, plus droit au chapitre.
Pour certains, le mouvement des Gilets Jaunes est aussi une opportunité de tout péter. Des casseurs se sont mêlés à la contestation. La question qui se pose est leur réelle implication dans le mouvement. Sont-ils là pour manifester leur mécontentement et du coup, ils font comme d’habitude (et ça finit dans les flammes et les débris) ? Ou bien, les manifs du samedi sont juste un prétexte pour se lâcher, et éventuellement, faire ses courses en défonçant des vitrines ? Difficile à dire. Une chose est sûre c’est que les Gilets Jaunes ont été pris au sérieux à partir du moment où la Violence est apparue et a été relayée par les médias. Il est clair qu’une révolution pacifique n’a, en fin de compte, rien à voir (dans l’inconscient collectif) avec une révolution. Pourrions-nous imaginer Mai 68 sans les barricades et les pavés dans la gueule des CRS ? Sans doute pas. On est donc, aussi, au niveau violence, dans une forme de cliché. Un écho aux films et autres docus visionnés en prime time sur les chaînes hertziennes… Il faut faire parler la poudre à défaut d’avoir les mots pour s’expliquer. Comme dans un film américain.
Pour ma part, ce qui m’étonne, c’est l‘absence de discernement entre le légal et l’illégal. Une retraité Gilet Jaune se fait bousculer par un CRS. En l’occurrence Geneviève Legay, 73 ans, niçoise d’origine. Il est, certes, déplacé et méchant de blesser une personne âgée mais compte tenu que ladite manifestation n’était pas déclarée, elle était de fait illégale. Ça aurait dû arrêter cette pauvre dame qui, le malheur aidant, ne s’est pas posée la question de la légitimité de sa démarche. C’était un peu (que l’on me pardonne) à ses risques et périls. Encore une fois, le malheur donne tous les droits même celui d’être dans l’illégalité. Et quand notre président, plutôt sage et avisé sur ce coup, déclare fort poliment : "Je pense que quand on est fragile, qu’on peut se faire bousculer, on ne se rend pas dans des lieux qui sont définis comme interdits et on ne se met pas dans des situations comme celle-ci". Madame Legay, en réponse, complétement aveuglée par sa colère, traite notre chef suprême « d’exemple de mépris et de violence ». Quid du respect de la loi ? La légalité n’a plus la côte et n'est plus le domaine de prédilection de nos seniors.
En y regardant de plus près, les Gilets Jaunes se sont peut-être trompés de combat dès le départ. Ils veulent, à l’origine, un litre de diesel moins cher. Sachant que nous sommes sur la toute fin de cette possibilité. « Rouler » en voiture est un restant de l’industrialisation galopante du XIXe siècle. Et je ne vous parle même pas du diesel, terreur suprême de l’écofighter. Demain (et j’ajouterai demain matin), il faudra trouver un autre moyen de se déplacer car nous serons bientôt sans pétrole. Et bien sûr, je pense à ces Gilets Jaunes qui sont obligés de posséder une voiture pour pouvoir aller travailler. Bref, c’est très mal parti. Ils en profitent - au passage - pour prendre comme symbole un accessoire automobile qui nous « signale ». Le monde des Gilets Jaunes serait-il symboliquement en panne ?
Comme je l’ai dit au début de cet article, ce qui frappe, de l’extérieur, c’est que ce bout de classe sociale n’avait jamais pris la parole jusqu’à aujourd’hui. On peut d’ailleurs penser qu’elle s’inscrit dans une forme de mouvement international qui a permis - notamment - l’élection de Trump aux USA, le Brexit ou la nomination d’un facho notoire au ministère de la Justice en Italie… Ces « faits » de société n’ont été possibles que par le biais d’une forme de bêtise moyenne ou plus simplement par un manque d’éducation. Quand la middle class américaine vote pour Trump, elle le fait en toute bonne foi. Ce sont, pour la plupart, des gens bien et comme il faut. Elle connaît Trump pour l’avoir vu « à l’œuvre » dans son show télé. Il existe depuis longtemps dans leur univers. Il est proche, il a réussi et il a l’air « efficace ». Ce n’est pas le « comme il faut » made in Washington de Hillary Clinton, lointaine et habituée des soirées de bienfaisance. Pour sûr, Trump est ici pour durer. Ne serait-ce que parce que personne n’a le droit de dire aux américains comment ils doivent voter. L’international middle class prend le Pouvoir et avec elle une forme de médiocrité que nos élites intellectuelles redoutent. Bref, les limites de la démocratie semblent repoussées par une éducation défaillante. C’est donc à une déferlante quasi mondiale à laquelle nous assistons. Un effet collatéral du nivellement culturel par le bas. Un nivellement qui a commencé chez nous par la téléréalité, par un cinéma qui permet les Tûches, par un monde des médias qui disserte « entre amis » ou qui institutionnalise des Anounah, par une presse qui a disparu ou abandonné sa mission première, par une même classe politique qui tiens le haut du pavé depuis 30 ans, par des réformes fiscales incompréhensibles et jugées systématiquement injustes… Et contrairement aux grandes « révolutions » passées, cette contestation n’a pas été initiée par une tranche cultivée de la population française. Même Alain Finkielkraut s’est fait jeter en essayant de s'incruster dans les manifs. Ici, comme entendu sur France Info, il s’agit de Tiffaine et Kevin qui voudraient pouvoir se payer un dîner en amoureux, de temps en temps, le samedi soir. C’est leur projet de vie et leur principale revendication.
En 1789, c’est la bourgeoisie et les intellos du moment qui ont fait leur tambouille. En mai 68 aussi… On peut trouver certains échos de la Commune dans ces Gilets Jaunes en leur souhaitant une fin différente. Mais, ce qui choque dans ce mouvement, c’est l'absence de culture. Pour s’en convaincre, il suffit d’écouter quelques interviews souvent voyeuristes réalisées par nos médias parisiens et bobos. Globalement, c’est avec un certain mépris que nous en parlons pour peu que nous fassions partie de la classe moyenne (niveau intermédiaire voir supérieur). Nous avons la même attitude face à une tatie de province qui sort une série de lieux communs (avec son accent du terroir) sur les prix qui augmentent et sur les inégalités. On sourit d’abord. On est ensuite un peu gêné pour elle. Mais le Monde n’est pas qu’à notre image. Il existe – aussi – des gens pauvres qui ne regardent ni Arte, ni les séries sur Netflix.
Phénomène intéressant, les Gilets Jaune remettent en cause l’indépendance des médias et de l’information « classique ». Ce qui n’est qu’un juste retour de décennies d’informations appauvries lorgnant constamment vers une info "entertainment". J’écoute France Info depuis très longtemps et à chaque fois qu’il se passe quelque chose, leur premier réflexe est de descendre dans la rue pour demander « aux vrais gens » ce qu’ils en pensent. Encore ce matin, à la vue d’une crise dans la filière de la pêche en France, ils ouvraient leur micro à un « Roger », marin de père en fils, pour qui « s’est vraiment dur » de prendre la mer tous les matins à 5 heures. Ce traitement façon Emile Zola ne peut avoir une valeur universelle ni être une information. C’est de l’Humeur mais qui à force de répétition peut être interprété comme une information. Sachant qu’à un moment ou à un autre, ils ne manqueront pas de demander son avis à Le Pen ou à Mélenchon sur ce problème pour mettre un peu « de couleurs » à ces propos d’une extrême platitude. Quid des faits chiffrés ? Des études faites sur le sujet ? De l’avis d’un spécialiste économique de cette filière ? En réalité, tout le monde s’en fout. Les Gilets Jaunes aussi. A chaque fois, le Monde des médias provoque un même ressenti. Ils interrogent des gens qui n’ont rien à dire mais qui sont « authentiques ». Et ça se voit et ça s'entend : « sont gentils mais un peu limités ». Ce n’est jamais agréable de passer pour un con. De plus, les Gilets Jaunes ne sentent pas une grosse empathie de la part des journalistes qu’ils accusent d’être « parisiens » et surtout « déconnectés ». Il faut donc être pour pouvoir avoir un discours « vrai ». Être pauvre pour pouvoir parler objectivement de la Misère. Par la même occasion on éradique les ¾ des écrivains qui ne font qu’imaginer la plupart de leurs récits. Et donc pour ne pas faire le jeu de ces « pourris » de journalistes, ils le disent haut et fort, les Gilets Jaunes préfèrent s’informent via les réseaux sociaux, les sites spécialisés, les vidéos YouTube réalisées... par d'autres Gilets Jaunes. Ces réseaux sociaux qui ressemblent à des agoras où une foule de débiles sourds mais pas muets se réunit pour essayer de faire valoir ses convictions. Moi, le premier. On y trouve quelque chose qui ressemble de très loin à de l'information (encore une fois, produite par les Gilets Jaunes eux-mêmes). Et ça, c’est, selon eux, de la « vraie » information puisque producteurs et consommateurs sont les mêmes.
Dans le torrent hasardeux de revendications des Gilets Jaunes est ressorti leur envie de démocratie participative. Plutôt rafraichissant pour une population française qui a l’habitude de ne jamais voter. Aux législatives de 2017, le taux d’abstention (au 1er tour) était de 51,34%. J’imagine que c’est pour les Gilets Jaunes un moyen de s’assurer d’avoir la voix au chapitre. Il en va de même avec la reconnaissance du vote blanc. Une façon, selon eux, d’avoir une reconnaissance par les urnes. Un moyen, à coup sûr, de bloquer mécaniquement le fonctionnement de nos belles institutions. D’abord par le niveau d’abstention potentiel ensuite par la possibilité de remettre en question, systématiquement et à chaque référendum, le pouvoir en place. La démocratie directe est un fantasme d’adolescent qui découvre, l'âge venu, un « monde injuste » et qui voudrait faire « changer les choses ». C’est pourtant un beau principe anarchiste qui me parle mais qui n'est qu’une utopie de plus. Avons-nous la même maturité et le même niveau d’éducation que nécessite un tel engagement ? Pouvons-nous nous engager à voter à chaque référendum ? Souhaitons-nous être systématiquement sollicité ? Je ne le crois pas. Notre constitution n’est pas prévue pour ça. Sommes-nous prêts à faire évoluer tout ça ? C’est en tout cas un génial levier de communication pour notre président en baisse de notoriété. Un moyen de mettre en place un dialogue tellement lourd et fastidieux qu’il ne pourra pas aboutir. Notre président, en fin stratège, a donc rebondi sur cette demande forte en instaurant un « Grand Débat » qui se veut la réponse à ce besoin de participatif. Au final, 1,9 millions de contributions ont été proposées via les différents supports rendant une synthèse exhaustive impossible. Le français est un bon soldat du débat même si cette initiative tient plus (comme je l’ai déjà dit) de l’opération de communication pour redorer le blason d’un président en chute dans les sondages. Qu’Emmanuel Macron se rassure, cette chute, est systémique et ce quelque soit le gouvernant. Il y a cette idée reçue dans notre beau pays que le Président peut tout pour le citoyen. Il a cette image de Père Noël personnel forcément vouée à créer de la frustration parce qu’impuissant face à la globalisation ou aux intérêts particuliers. Et c’est comme ceci qu’il est perçu par les Gilets Jaunes. Il est ce quelqu’un « qui pourrait tout changer » mais qui ne fait rien. Pour plein de raisons : attachement aux classes « riches », éducation bourgeoise, convictions antisociales… Etc. A aucun moment, ils ont juste envisagé qu’il ne peut pas. Le « Macron Démission » est forcément surévalué, il ne mérite pas autant de considération. Macron ne dirige pas, au mieux, il gère. Reste, au final, à apprécier les retombées réelles de son Grand Débat. Nous verrons sur le long terme, mais je reste un peu dubitatif. Les retours directs de ce Grand Débat ont d'ailleurs été dévoilés hier par notre président. Sous le soleil rien de nouveau. D'après lui, ce Grand Débat a conforté la politique mise en place depuis le début de son mandat. Alors pourquoi débattre ?
Pour conclure, seule certitude : Les Gilets Jaunes annoncent un changement profond des forces politiques en présence, dans notre société. Paradoxalement, ce changement a été initié par l’élection du président Macron pourtant devenu l’ennemi public n°1 du mouvement. Ne pas les prendre au sérieux nous expose à en faire les frais. Nous, les bienpensants, ceux qui réfléchissent et se permettent de donner leur avis. A cette question qui n’a pas cessé de m’obséder ces derniers mois : « qui sont les Gilets Jaunes ? » Une seule réponse me vient à l’esprit : « Des gens qui vont mal et avec qui nous devons compter ».