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Je ne me suis jamais senti vraiment « cool ». Tout juste un peu « frais »
Avant d’attaquer, il nous faut d’abord définir cet anglicisme entré dans le langage commun. Il vient en grand partie de l’argot hipster américain des années 50 bien qu’il soit apparu dès les années 30 dans la communauté black pour signifier « à la mode ». Certains le font même remonter jusqu’aux temps maudits de l’esclavage où l’on travaillait sous le cagnard et que par opposition être « frais » était vraiment heu… Cool.
Donc les hipsters, pas ceux à chemise à carreaux, feu de plancher, Fixie et à barbe taillée. Non je veux parler de ceux croisés dans certains livres de Kerouac qui empruntaient à cet argot black. On précisera qu’il s’agit globalement de la beat culture. Cette population à col roulé, béret parisien et jazz bebop. Oui, les fameux cols roulés noirs adoptés bien plus tard, via les existentialistes croisés à Paris, par les Beatles. Les Beatles, par exemple, étaient des « passeurs » de cool, ils ont su transformer la violence d’une musique quasi-tribale (le rock and roll) en y ajoutant de la gentillesse, des harmonies à 3 voix de bon gars bien élevés. La violence soul, par exemple, de « Twist and Shout » initiée par les Isley Brothers devient une « chenille qui redémarre » dans la bouche de John et Paul… « Le ouuuuuh » suraigu qu’ajoute Paul (il me semble) nous tranquillise, nous apaise voir nous pacifie. Il rend la démarche accessible. Il faudra attendre « Helter Skelter » ou « Revolution » pour qu’un peu de sauvagerie brute soit de nouveau associée au gentil quatuor de Liverpool. Quatuor ayant commencé gominé et portant fièrement du cuir.
Le terme nous vient de ces allumés à l’alcool et à l’haïku, résidents dans des lieux enfumés mais ouverts à la discussion sans fin. Puis, peu à peu, le terme a « infusé » et s’est diffusé dans toutes les couches de notre société via la culture pop… On pense, par exemple, au « Birth Of The Cool » de Miles Davis sorti en 1957, « Cool Jerk » par les Capitols, « Cool It Baby » par les Treniers, « Daddy Cool » par the Rays, « Three Cool cats » des Coasters… Etc. La liste est longue. Ou bien certains films comme « Cool World » (1992), « Cool and Crazy » (1994) et des livres comme « Cool Hand Luke » par Donn Pearce, « The real cool Killers » Chester Himes… etc.
Ma première rencontre avec cette terminologie remonte à la découverte d’un avatar de Snoopy : Joe Cool. Le chien schizophrène (du fameux Charles Schulz) portant lunettes noires et pull à col roulé marqué « cool » ! (Justement), le chien métaphysique allongé sur le toit de sa niche rêve d’un autre monde où la terre serait plus rooo... Euh pardon, pas cool !
De notre côté de l’Atlantique, nous avions déjà une expression typiquement XIXe : « Être à la coule », qui bien vite s’est transformée en « à la cool », exécutant une parfaite fusion au niveau du sens. Ce « coule » (coul’ à l’origine pour la couleur de l’atout dans un jeu de carte) permettant ce glissement sémantique et facilitant l’adoption de l’anglicisme en question.
Autre dimension que l’on pourrait associer à notre thématique : le contrôle de soi et une forme de nonchalance de bon ton quand rien ne peut vous affecter. De ce point de vue, être cool c’est être libre… de toutes contraintes.
Intéressant, en tous cas, cet « american slang » typiquement fifties : « a bash » pour une fête, un « big daddy » pour une personne plus âgée, le « bread » est du fric, le « blast » c’est du bon temps, un « cat » est un hipster, « cool it » pour « détend-toi » (très utilisé par Fonzie dans Happy Days), un « cube » est un type normal, une « dolly » est une fille jolie, un « flick » est un film (d’où par extension « netflix ») … Etc. Certains termes sont (aussi) entrés dans le langage commun et pour consulter une liste plus complète c’est ici-même !
Aujourd’hui, ce qui est « bien » est cool : « je pars en vacances, cool ! », « j’ai regardé Casa de Papel… Cool ! », « mon boss m’a retenu, jusqu’à 20H… Pas cool ». Et pour le rester (cool) on évitera de dire que « c’est cool », on ajoutera juste le mot en début ou en fin de phrase. Avec une légère pause. En gros, le concept s’est « répandu » et, en 65 ans, a gagné la bataille, divisant le monde en 2 camps quasi-ennemis à la frontière ténue : le cool et le pas cool. Et c’est bien plus qu'une question de choix et d’attitude, car le « cool » s’auto génère par la magie de l’ère du temps. Il se diffuse ensuite grâce à un acquiescement commun, inexplicable et quasi sociétal.
Donc, la cool attitude a gagné et force les spectateurs que nous sommes à pencher systématiquement du « bon » côté. Notre liberté de rejoindre ou non le bon camp a disparu comme l’excitante envie de le devenir (cool). De fait, le cool est devenu une quasi-dictature, un truc de mec coincé entre le paraître et le disparaître (2 citations du groupe Téléphone dans un même article, ça fait beaucoup). Car quid de notre libre arbitre ? Et de notre doit à ne pas l’être (re-cool) ? Après le droit à la déconnexion, revendiquons le droit à l’uncool !
Très jeune, car longtemps ce fût un truc de jeunes, j’ai pris conscience de l’importance d’adopter la bonne attitude, le bon langage, de partager les bonnes références, d’écouter la bonne musique… Tout ce qui me rendrait « cool » aux yeux des autres et plus particulièrement aux yeux des filles. Car qui voudrait passer pour un vieux con straight et engoncé dans sa soutane ? Personne a priori, exception faite – par exemple - du Père Gérard, curé de ma paroisse et d’un ancien combattant, porte drapeau pour cérémonies du 11 Novembre depuis 1918.
Pourtant, profondément, je crois en certaines choses. Des valeurs, si j’ose dire. Un peu de lourdeur dans un monde d’attitude qui pactise en permanence avec une légèreté abyssale. Un peu de prise de tête dans ce monde attiré systématiquement par le bas. Parfois, mes valeurs peuvent même sembler chrétiennes. Oh, fouchtra… C’est du lourd ! Des préceptes aussi, une forme d’éducation parfois. Bref des notions qui sont tout sauf cools. Je me rêve loyaliste platonicien qui s’en remet aux lois et à l’organisation de la société dans laquelle il vit. Je le cache aux yeux de tous, je l’occulte, car la Pensée, n’appartient pas à la vision cool et forcément réductrice de notre monde. Platon n’est pas cool, la maïeutique non plus. Nous adoptons tous cette vision enfantine qui ne sait distinguer que le bien du mal, le noir du blanc, le cool du pas cool. Être cool, aujourd’hui, me permet de me rassurer, de ne pas quitter l’enfance et d’adhérer au groupe.
En mon temps, il était cool de jouer de la guitare éclectique dans un groupe de rock alternatif. Aujourd’hui, je serai sans doute hacker ou geek. A la limite DJ, si je n’ai pas le choix. Même si pour « pécho’ », c’est bien plus difficile quand on ne sait parler que de la Beauté du code ou de tee-shirt aux références culturelles obscures. Être cool a un prix et demande son lot de sacrifices personnels : renoncer à ses goûts tendancieux, à des fringues de « Square », ses lectures de bouffons et autres habitudes provenant de la tradition, de son éducation (voir liste, précédemment) … Ainsi, je n’affiche jamais ma passion pour Shakespeare, Proust ou Verlaine. J’évite de dire que j’aime les Pieds Nickelés de Pellos ou que je mets parfois des pompes André (surtout quand personne ne peut s’en rendre compte) ! En réalité, personne ne veut être catalogué « pas cool ». Du cadre supérieur qui roule en Harley Fat Boy (le week-end, bandeau noir au coude depuis la mort de Johnny) en passant par la ménagère de moins de 50 ans habitant Boulogne-Billancourt, femme au foyer, au moins 2 enfants (à prénom rétro) mais portant des New Balance et un jean couture élimé.
La notion de cool évolue au fil du temps. Aujourd’hui, en 2018, le Cool est « conscious » et mange bio. Il s’habille come un djeun’s et ce quel que soit son âge. Il ne regarde plus la télévision. Demain, il sera – peut-être – atechnologique, anti-bot. Hier, il refusait les marques trop apparentes, le manque de crédibilité du non authentique (copie de Coca-cola, faux Laguiole, marque générique de chez Lidl… Etc.). Cette mouvante notion me fait aussi dire que le Marketing conquérant doit sans doute et ce depuis toujours tirer les ficelles du concept pour mieux, au final, nous fourguer ses produits d’appel. Le marketing monétise un ticket d’entrée qui donne accès au monde fabuleux de ceux qui sont (toujours) du bon côté. Pourtant, il faut être vigilant, car et par exemple, qui voudrait porter des claquettes Nike avec des chaussettes blanches ? Qui peut écouter « Jul’s » ou « PNL » et se sentir réellement « cool » ?
Prenons mon cas. Je suis entré dans le monde de la pub pour faire cool. J’aurais largement préféré être journaliste pour la presse écrite. Oui mais, à l’époque, pas cool. Depuis, la presse imprimée est en passe de disparaître. Pas cool du tout. J’ai pris ma guitare pour avoir l’air cool comme la cigarette que j’avais au coin de la bouche. Cool, mais pas cool le Cancer. J’ai entrepris et créé 3 entreprises, alors que j'étais sans doute fait pour recevoir des ordres et obéir. Oui, mais pas cool non plus. Dans ces tentatives d’autogestion, un gauchisme de bon ton prévalait, comme il se devait, pour ma génération. Je suis parti moult fois aux USA, parce qu’à l’époque, les "vrais" s’y rendaient. Aujourd’hui plus cool du tout. Car enfin qui souhaite fréquenter Donald Trump ? Oui, mais je vous emnmerde. Les USA sont mon 2e chez moi. J’ai toujours refusé de porter des marques de façon ostentatoires. Mais rien ne m’empêchera de porter le logo du film ou du groupe de rock « qui va bien » sur mon tee-shirt fraîchement repassé. Un vrai rocker estampillé cool, ne porte que de l’authentique : tee-shirt blanc Fruit of the machin et Levi’s 501.
L’âge venant, je me moque de ne pas être là où il faut. Il est des choses que j’aime et d’autres non. Je l’assume sans rendre des comptes. La musique est, encore une fois, l’exemple idéal. J’ai abandonné mon sens du cool, le jour où Pascal Obispo, Souchon et Michelle Torr se sont invités dans ma playlist. Hier soir, c’était Alain Barrière. Bien sûr, en soirée, j’évoquerai plus volontiers les Limiñanas, de Guitar Wolf, des Editors ou d’Interpol. Il m’arrive aussi d’écouter Delia Derbyshire ou les Residents. Pourtant, j’ai fréquenté et fréquente Christophe avant sa reconnaissance Technikart, Charles Trenet de tout temps et Jean Sablon quand Django lui faisait la pompe.
Le cool ne me changera pas et je m’offre le droit à la diversité, aux mélanges des genres, à la facilité ou l’inaccessibilité. Je m’offre le droit d’être divers et le fascisme de la bonne attitude ne me concerne pas. Bref, je suis un vieux con.