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Récemment recyclé, je suis devenu marketteux. Ce n’est pas une maladie et il se trouve que mon diplôme d’origine (contrôlée puisque j’ai un BTS) correspond. Un collègue bien intentionné me faisait remarquer (sans doute à juste titre) que pour que je puisse encaisser mon salaire, il lui fallait ramener un peu plus de chiffre d’affaires. Sous-tendu, mon apparente inutilité dans la vaste mécanique de notre entreprise. Il est clair que le marketing n’est pas directement facturable à un client même si je suis persuadé que ma mission est essentielle et profitable à tous.
Lorsque je préparais mon BTS de Publicité, dans les années 80, un de nos profs nous répétait que la com, « c’est du vent, mais du vent qui fait tourner les moulins ». Ma conviction, en partant de ce principe, est que le Marketing est une activité qui fait vivre des gens (dont je fais partie) et rien que pour cela, elle a un réel intérêt. Le Marketing est une activité économique qui peut se suffire à elle-même mais qui parfois ramène (aussi) des clients.
Ce qui m’ennuie un peu plus dans la remarque de mon camarade d’entreprise, c’est qu'elle sous-entende que je n’ai aucune idée de ce que peut représenter l’acte de vente et ses difficultés inhérentes. Il m’imagine déconnecté de la « vraie » vie économique. Je ne peux pas lui en vouloir même si c’est faux (et un peu blessant). En vérité, je connais très bien cet animal étrange (mais attachant) que l’on appelle client. Pendant des années (bien que dans une autre vie), en tant que graphiste ou gérant d’entreprise, il m’a fallu vendre et produire. J’ai donc appris dans le dur (je n’ai pas été formé), à ramener l’argent qui me faisait vivre tout en produisant. Oui, je devais vendre et c’était une question de survie. Si mon gentil collègue ne vend pas pendant disons… Un mois, c’est le collectif qui prendra la relève et qui viendra combler son manque à gagner (c’est la force d’un collectif). Sa situation reste, somme toute, confortable bien que difficile.
A l‘époque, ne pas vendre voulait dire ne pas manger. Une petite tonalité à la Zola donne toujours un peu plus de mordant. En vérité, je n’ai jamais été un commercial. J’ai pourtant vite appris à trouver puis interagir avec le « client ». En 25 ans d’entreprenariat, j’ai eu le temps d’apprendre et cette activité, paradoxalement, me manque parfois. L’adrénaline du VRP. C’est drôle comme à mes débuts, je souhaitais me vieillir en portant un costume (histoire d’être pris au sérieux) puis me rajeunir en ne portant jamais, quoi qu’il arrive, un complet 3 pièces. Plus je souhaitais être pris au sérieux moins j’y arrivais. D’ailleurs, J’ai très vite arrêté. J’ai fini par faire tous mes rendez-vous commerciaux sans me soucier du résultat final, du chiffre que j’allais faire. Bien m’en a pris, car délivré de la pression, j’écoutais mieux et cherchait réellement à aider mes clients. Je suis persuadé qu’un bon commercial soulage ses pa…clients.
Très vite, j’ai développé une forme institutionnelle d’empathie pour mes clients. Une empathie toute relative puisqu’elle ne dépassait pas les portes du bureau. J’éprouvais ses peines et parfois ses joies. Certains en ont beaucoup abusé et demandé bien plus que le devis ne le permettait. J’ai aussi tissé des liens indéfectibles avec certains. J’ai eu des gros et des petits clients, certains sont devenus énormes. Par exemple, j’ai eu le plaisir de travailler avec Oracle tout juste créé (via sa filiale en France) avec un logo triangulaire (fait par Carré Noir) ou bien Ericsson qui ne vendait que des talkies walkies, j’ai aussi participé au lancement du mini briquet Bic.
Pour synthétiser, je dirais que dans le domaine de l’économie du design graphique, j’ai rencontré 3 grandes familles de clients :
• Ceux qui ne connaissent pas le design, sont sympas mais n’ont pas d’argent,
• Ceux qui croient connaître le design, ne sont pas toujours sympas mais ont un tout petit peu d’argent,
• Ceux qui croient connaître le design, ne sont pas toujours sympas et ont de l’argent.
Ces avec ces derniers qu’il faut mieux faire affaire. Dans les 3 cas, le rapport financier est essentiel même si l’humain fait la différence. En tant que prestataire, vous vous devez de bien vous vendre et fournir la meilleure prestation possible. En temps qu’acheteur, vous souhaitez acheter le maximum en payant le moins possible. Ne rien payer étant le rêve que certains atteignent. Pour autant, si vous acceptez de travailler gratuitement, vous n’êtes pas à l’abri des problèmes. Bien au contraire. J’ai parfois accepté de sponsoriser certains projets pour pouvoir m’exprimer librement et me délivrer du lien financier. A chaque fois les clients gratuits étaient bien pire que ceux qui payaient. A bien y réfléchir, il est préférable – quitte à ne pas travailler de toute façon – à se vendre cher dès le départ. Au moins, on sait à quoi s’attendre quand on vous fait travailler.
Une de mes grosses faiblesses en tant que commercial fut de ne pas avoir assez dit non. Nous avons longuement travaillé sur le sujet, notamment avec un formateur chevronné, spécialiste de la négociation commerciale. La découverte et la pratique de l’Assertivité furent d’une grande aide. Mais jusqu’au bout, j’ai toujours hésité à dire non à un projet mal payé. « Un sou est un sou » me répétait l’auvergnat qui sommeille en moi. Ce qui est petit aujourd’hui, peut devenir grand demain. Mais bon, ça c’est dans un monde idéal.
Je me suis fait avoir un nombre incalculable de fois. A commencer par mon premier job en free-lance qui était pour une société qui avait racheté les plans et les moules de la Statue de la Liberté aux héritiers de Bartholdi et qui souhaitait vendre des miniatures de la grande dame. J’en profite pour préciser que la Statue a été conçue dans des ateliers boulonnais. J’ai dessiné son dossier de presse (littéralement dessiné) et bien sûr, je n’ai jamais été payé. Un peu plus tard, j’ai œuvré pour une filiale de Swatch (qui fabriquait des montres publicitaires). Je leur ai fourni une trentaine de designs orignaux (autour du thème du Temps, bien sûr). J’ai reçu les prototypes de Suisse et … Je n’ai jamais été payé. J’ai travaillé pour un fan de Johnny qui commercialisait des figurines en plâtre du rocker français. Et là, au moins, j’ai été payé en nature (une figurine qui est cotée 60 Euros sur eBay). Je peux continuer ainsi pendant au moins 50 lignes. La malhonnêteté est un puit sans fond.
A mes glorieux débuts, fraichement sorti de l’école, je dois avouer que j’avais très peur du prospect et du client. Les mains moites, le regard mal assuré, la voix chevrotante, rendez-vous après rendez-vous, j’ai appris dans le dur à prospecter, à vendre et à développer la relation commerciale. Je suis devenu un prince du « small talk ». Très vite, il m’est apparu que je devais faire avec ce que je suis. Ce que j’ai d’ailleurs mis en place pour ma santé mentale.
Quand on vend, on se rend compte très vite que l’on tombe systématiquement sur une série d’archétypes de clients. Et ce quoi qu’il arrive. A croire que nous sommes tous faits de la même façon. Il faut donc très vite les classifier et avoir en stock le type d’interaction attendue. En début d’entretien, on commence par détendre l’atmosphère avec une blagounette puis on attaque dans le dur pour finir par les sujets qui fâchent (en parlant argent). Parler argent est un tabou dans notre contrée d’obédience latine. C’est pourtant la clé du succès et la démonstration que vous n’avez pas peur. Vous êtes un vrai professionnel de la profession quand vous êtes capable de parler pognon, l’air tranquille et détendu.
Je me souviens avoir travaillé pour une agence qui s’appelait (il me semble) Première Ligne. J’ai checké sur la toile, je n’ai rien trouvé. Tant mieux, je n’aimerai pas finir au tribunal. La fille qui était à la tête du bousin faisait tout : démarchage, commercial, production, suivi de la créa… Etc. Elle avait – entres autres – comme client un loueur de voilier et à chaque nouvelle publicité qu’elle nous commandait pour son client, nous y passions au moins une bonne semaine. Itérations, modifications, coups de gueule moralisateur, bisous sur le front… Etc. 1 semaine payée (en Franc constant 1500,00 Francs soit un peu plus de 250 euros). C’était son truc, nous faire recommencer : 1 fois, 2 fois, 10 fois. En y pensant bien, elle le faisait parce qu’elle pouvait le faire. Nous étions jeunes et effrayés. Nous disions oui à tout. Un jour, elle a pourtant disparu avec son agence. C’était le lendemain de notre premier « non ». Avec elle, j’ai beaucoup appris sur les clients psychopathes qui vous manipulent et vous exploitent.
Au fil de ces années, j’ai développé une conviction personnelle. La création graphique est un Alien dans le monde du service. Cet Alien ne rentre pas dans les petites cases puisqu’elle repose (en partie) sur un talent individuel. Par frustration ou jalousie, certains clients nous font payer le prix de leur incapacité à substituer le graphiste par un process, en interne, bien senti et rassurant. Delà, ils vous cassent les pieds et vous poussent dans vos derniers retranchements, juste parce que le rapport financier lui permet. Car certains clients sont frustrés, voir désespérés. Dans ma première entreprise nous étions en contact avec une petite agence de pub dont la dirigeante s’est malheureusement suicidée. Désespoir ? Marre des créas rebelles ? Dans ce flot de tristesse, une bonne nouvelle, nous avons récupéré un gros client : le Ministère de l’Equipement et du Logement. Ministère avec lequel j’ai travaillé au moins 10 ans jusqu’au départ en retraite de mon interlocutrice (qui me considérait comme son fils spirituel). C’était très bien rémunéré et je leur dois encore une plaquette que je n’ai jamais imprimé bien qu’ayant été payé plus que grassement. Cette cliente sympa mais étrange avait du mal à maquiller le « mort aux vaches » tatoué sur son visage. Peut-être avait-elle fait de la prison dans une autre vie ? Cette dame avait une lubie, elle pensait que les majuscules de la typographie Times étaient trop petites par rapport à ses bas-de- casse. Il me fallait rajouter 2 points à toutes les majuscules dans tous les documents que je lui livrais.
Des clients étranges ou mal intentionnés, j’en ai croisé. J’en ai croisé beaucoup. Celui qui nous a commandé un logo à tout petit prix pour finalement l’utiliser dans une campagne nationale et télévisuelle. Celui qui a détourné l’illustration d’une plaquette pour en faire le logo du salon qu’il organisait à la Porte de Versailles (et qui ne comprenait pas pourquoi nous souhaitions une « rallonge » budgétaire). Celui qui me forçait à travailler avec un imprimeur (40% plus cher que les prix du marché), fils du maire de la ville où son complexe immobilier était implanté. Ce transporteur, filiale d’un grand groupe, qui nous commandait de l’impression au double du prix. Il fallait lui rétrocéder une grosse com pour continuer à travailler avec lui. Ce grand groupe publicitaire à qui il fallait payer un pourcentage de notre chiffre d’affaires pour pouvoir continuer à sous-traiter pour une de ses filiales. Cet homme politique appartenant à un parti écologique qui souhaitait une campagne d’affichage pour les élections. Nous n’étions pas payés et nous devions organiser sa levée de fond. Les exemples sont multiples et souvent extraordinaires ! J’ai ainsi eu le plaisir de travailler pour un grand artiste de variété française (celui qui chante « C’est la fête » à tous les mariages) et surtout son producteur très connu. Pas content du résultat (une pochette de CD au titre à la con), nous n’avons jamais été payé. Je lui ai pourtant envoyé une lettre d’insulte plutôt salée, ceci expliquant cela. Je continue ? Allez, parlons de ce chefaillon qui travaillait aux Pages Jaunes et qui aimait nous insulter (au sens littéral du terme) en séance (devant un parterre halluciné de collègues silencieux). Il quittait la réunion en claquant la porte. Depuis, je crois qu’il a décidé de soigner sa dépression. La fille de cet entrepreneur très riche qui m’invita à son anniversaire pour récupérer gratuitement le logo que son père ne voulait pas payer. Ce patron d’une compagnie d’aviation chinoise qui souhaitait nous acheter au même prix les 3 versions de la publicité que nous venions de lui présenter. Je pense aussi à ce commercial d’un autre âge, chez un gros opérateur de téléphonie mobile qui souhaitait acheter notre créa avec tous les droits. J’avais beau lui expliquer que la propriété intellectuelle ne pouvait être vendue, il s’acharnait et me faisait signer des contrats bizarres et par essence hors-la- loi… Etc., Etc.
Et puis il reste ce type de client pas forcément sympa mais qui vous paie bien. Je me souviens de mon premier client dans ma première agence. Une boite de création de nom dont le boss était et est un type extraordinaire (et très sympa). Nous avions carte blanche et étions pas trop mal payé. Nous avons travaillé sur son logo en y incorporant une couleur qui malheureusement n’était pas imprimable. Là, notre inexpérience fût fatale. Car sans seniors, ni référents, il est compliqué d’atteindre le niveau d’excellence que l’on attend de vous.
Cette inexpérience me fût plus d’une fois fatale. Quelques exemples me viennent en tête au niveau de mes ratages historiques et dommageables. Sans doute du fait de mon incapacité à « bien vendre » ou à suffisamment comprendre le client. Des ratages commerciaux, j’en ai eu plein : le logo du groupe Eiffage, la possible refonte du logo Bouygues, le nouveau logo Afnic, le logo de la chaine Bonne Journée (dans le métro parisien), le logo « AOC ». Oui, je l’avoue j’ai raté cet appel d’offre qui aurait pu me faire rentrer au panthéon du design français. Depuis à la moindre bouteille avec le logo AOC dessus, je fonds en larmes.
Parfois, ces naufrages étaient plutôt drôles. Je me souviens avoir présenté en one to one des projets de design à Monsieur Bolloré sans savoir qu’il était. Visiblement, il n’a pas apprécié. Je pense aussi à cette présentation faite à une star internationale du fitness. Jeune blondasse musclée et française. Au final, je l’ai envoyé « péter » parce qu’elle n’avait ni moyens, ni vision…. Et surtout aucune patience quant aux résultats qu’elle attendait. Il m’est arrivé de déclarer à un client malhonnête « qu’il n’était pas quelqu’un de bien et que je me réjouissais de ne plus travailler pour lui ! » alors que nous étions, pour lui, sur un projet de com caritative. Là, c’est le contraire, l’expérience m’a aidé à dire les choses qu’il fallait exprimer. Car même si vous on paye, vous n’êtes pas obligé de tout subir ! ça c’est la vraie révélation d’une vie de commercial.
Et puis, j’ai eu quelques succès. Des clients devenus des amis et ce pour la vie. Avec eux, j’ai donné autant que j’ai reçu et si j’ai pu participer (en partie) à leur réussite, alors tout ce temps passé en rendez-vous n’a pas été vain. Pour citer Julien Clerc et Etienne Roda-Gil : « Je veux être utile… à ceux qui m’ont aimé ». Alors, oui, je crois savoir ce qu’est la Vente et après l’avoir pratiquée pendant 25 ans, il me semble assez légitime, aujourd’hui, de passer à autre chose ! Mais bien sûr, si quelqu’un est en quête de partage d’expériences ou de conseils commerciaux, je suis à disposition. Car Je crois en connaître un rayon !