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Depuis toujours, l’utilisation des typographies fait débat tant dans le monde du design que dans le monde du développement. Jusqu’il y a peu, le monde balbutiant des interfaces ne prenait pas en compte l’aspect graphique des choses. Il a fallu attendre l’émergence de l’UI (User Interface) pour que le graphisme devienne un passage obligé et vendeur. Les développeurs, souvent réfractaires (ce n’est pas leur métier), ont dû intégrer dans leur démarche une dimension graphique et s’intéresser à la typographie même si, aujourd’hui encore, tout ceci est ressenti comme un problème de « cosmétique ». Pourtant comme disait Raymond Loewy « Le beau fait vendre ».
Au royaume du design graphique, il existe un certain nombre d’outils dont l’objectif est de mettre en forme une information que l’on souhaite transmettre et diffuser. Cette information peut être formelle (chiffres, données, actions…etc.) mais et surtout, elle peut être un ressenti. Là, on rentre dans un domaine sensible que nos amis anglo-saxons ont appelé le « look and feel », quelque chose comme l’image et le ressenti. Cette notion de « look and feel » est à la base née du design d’interfaces et c’est plutôt amusant de penser que du fait d’une trop grande « virtualité » (voir désincarnation) on s’intéresse, aujourd’hui, à comment l’utilisateur reçoit ce visuel qui n’existe que sur un écran.
Dans la palette des outils utilisés par les designers, il en est un particulièrement cher à mon cœur. Il s’agit de la typographie, bien sûr. Prenez, par exemple, les abréviations (normés dans le code typographique – la bible quoi) combien de « Mr » au lieu de « M. », de « 2eme » au lieu de « 2e » ? La typographie est un domaine que tout le monde connaît mais surtout croît connaître. C’est par la typographie que j’ai découvert le monde du design et c’est par mon écriture manuscrite (style BD) que j’ai commencé à œuvrer dans cet univers alors ultra-fermé. Pour être précis, le terme typographie inclus 2 notions : les caractères typographiques et la composition. La composition étant les règles de base d’agencement de l’ensemble des caractères. Règles qui vont favoriser la lecture et la compréhension globale. On doit donc toujours parler de typographie et de son utilisation. Ainsi le typographe était la personne qui composait, à la main et à l’envers, les documents à imprimer à l’aide des fameux caractères mobiles en plomb inventés par Gutenberg.
Avec le flat design, grosse tendance graphique du web d’il y a 3 ans ou 4 ans et le HTML5, la typographie est revenue au-devant de la scène visuelle. Et c’est tant mieux. On peut aujourd’hui embarquer des typographies dans le code (webfont et autre) et donc, tout en gardant un poids dérisoire, afficher un design de qualité. La question des droits d’auteur étant « éludée » par les gros acteurs du marché (je veux bien sûr parler, par exemple, des Google Fonts dont Google « donne » les droits à tous ses utilisateurs. Celui qui contrôle le contenant, contrôle le contenu). Il faut préciser que comme pour toutes les œuvres de l’esprit, une typographie est une création qui appelle des droits. Il ne faudra pas confondre le modèle (par exemple Times qui est dans le domaine public) de son interprétation (par exemple le Times vendu par Fontshop). Interprétation qui elle appelle de droits d’auteur puisqu’elle devient une création.
La typographie est avant tout un graphisme original, une image qui a été inventée et développée par des ultra-spécialistes (eux aussi appelés des typographes). Si tout a vraiment conceptuellement commencé avec Gutenberg, des siècles ont été nécessaires pour mettre au point ce que nous utilisons quotidiennement dans nos mises en page et ce, justement, par le biais des multiples réinterprétations de ces fameux « modèles » typographiques. L’avènement d’internet n’a fait qu’accélérer le mouvement et créer, en plus, un « bruit » inutile mais qui eut pour conséquence de sensibiliser la jeune génération à l’art ancestral de la typographie. Il suffit de regarder nos murs couverts de graff pour évaluer l’intérêt que porte les djeun's à ce domaine. Bref, aujourd’hui, la typographie est partout ultra-accessible et on se doit de l’utiliser dans nos interfaces (et ailleurs) en ayant conscience de son pouvoir et de son impact. Car la typographie est avant tout un moyen de transmettre des sensations (et re-look and feel) la plupart du temps inconscientes voir à peine formulées. Prenons un exemple simple. Nous avons tous appris à lire (du moins je l’espère) dans des manuels scolaires. Ces manuels scolaires utilisaient une typographie qu’inconsciemment, aujourd’hui nous associons à cette période d’apprentissage. Autre exemple, souvenez-vous de vos émotions à la découverte, pour la première fois, d’une affiche de Star Wars ou de tout autre film qui a pu marquer votre existence. Ces affiches sont aussi des mises en page typographiques que vous associerez forcement à ces bons souvenirs. Mais attention aux contre-sens que l’on croise parfois autour de nous. Certaines polices peuvent induire une histoire sombre et vénéneuse. C’est le cas, par exemple, de la Futura, inspirée du Constructivisme Russe, créée par Paul Renner, malheureusement très prisée du 3e Reich. Un certain malaise (souvent inconscient) accompagne l'utilisation de cette police. Et ça, on n'y peut rien.
Pour synthétiser, l’équation typographique repose (en plus de qualités graphiques intra sec du caractère) sur une longue histoire, sur des valeurs et surtout des sensations (liées à de précédentes utilisations). Ignorer ces 3 facteurs revient à faire de mauvais choix. Mal les mélanger aussi. Bien sûr, nous ne sommes pas tous des typographes mais tous ceux qui se disent designer devraient avoir des notions de typographies et être en capacité de « bien » choisir une font.
Dans le cas spécifique de la typographie, on ne peut pas faire l’impasse sur son histoire pour une raison simple : l’écriture est vecteur de communication qui vient du passé. On date son invention de 4 000 ans avant JC. L’imprimerie et donc le caractère en plomb (ancêtre de la police d’aujourd’hui) date de 1 450 après JC. Certaines polices que l’on utilise quotidiennement ont parfois 2 ou 3 siècles d’histoire. De fait, comment pourrait-on utiliser une Comic Sans qui à peine 22 ans ou toute autres polices bricolées pour Dafont qui sur cette échelle du temps sont encore des bébés qui ne savent ni parler, ni marcher ? Le bien nommé Vincent Connare, designer de la Comic Sans, le reconnait lui-même (en bon professionnel) sa typographie avait, à la base, une fonction : « Une police doit faire exactement ce qu'elle est censée faire. C'est pourquoi je suis fier de Comic Sans. C'était pour les utilisateurs débutants en informatique et elle a réussi sur ce marché. Les gens l'utilisent de façon inappropriée : s'ils ne comprennent pas comment une police de caractère fonctionne, elle n'aura aucun pouvoir ni aucune signification pour eux. »
Dans notre pays, on célèbre régulièrement les fondements de notre belle nation : révolution, guerres… Et souvent, on nous rappelle que certains de nos aïeux sont morts pour nous permettre de vivre en démocratie, voter, s’exprimer…Etc. Il en va de même en typographie, certains de nos grands typographes (je pense particulièrement à Claude Garamont) ont œuvré pour nous fournir quelque chose de parfait tout en nous garantissant une lisibilité et compréhension maximum. On ne peut pas l’oublier et faire table rase de cette histoire au profit de polices outrancières et racoleuses qui n’ont pas eu le temps de murir « en cave ». Même si la pratique quotidienne de la typographie (avis à nos amis designers) se divise - quoi qu'il arrive - en 2 temps : intégrer les règles ancestrales et immuables de la typographie pour pouvoir ensuite faire fi de ces règles et ré-inventer quelque chose de nouveau. Car malgré tout, la typographie induit modernité et expérimentation et ce depuis toujours. Ce qui peut sembler paradoxal à la lecture de cet article. Alors comment recréer du neuf au bout de 300 ans ? C'est du talent du graphiste dont il s'agit, la typographie n'étant qu'un outil. Bref, choisir une police de mauvaise qualité est souvent lié à manque de culture typographique. Et c'est un crime de ne pas s'en rendre compte !