>>
Le monde intérieur de l’entreprise est un microcosme qui reproduit à échelle réduite ce que le genre humain vit à la taille d’un pays, d’un monde, d’une civilisation. Conflits, tensions, accords de paix, pacification, efforts économiques collectifs, réformes… Etc. Tout y est… En miniature. On y retrouve tous les ingrédients socio-économico-politiques que l’on connaît avec en ligne de mire, un seul objectif, la conquête du Pouvoir. L’argent n'étant qu’accessoire mais bien le signe extérieur de son statut et de son niveau d’exercice du dit pouvoir. Également, la possibilité du sexe (en tant que récompense ressentie comme due par certains hommes de pouvoir) n’est finalement qu’un triste effet collatéral. « Balance ton porc », par contre est une vraie réponse. Un message sans équivoque des Femmes à l’attention des Hommes qui abusent de leur pouvoir. Car, une fois ayant atteint le sommet, après des siècles de combats, les Femmes ont et ont eu l’intelligence d’utiliser la même violence que les hommes pour rejeter massivement ces abus sexuels nés du trop grand pouvoir de certains hommes. On pense à des prédateurs comme Harvey Weistein ou DSK (d’une manière plus latine). Bref, les femmes sont devenues aussi « connes » que les hommes en exerçant leur pouvoir de la même façon – juste pour se défendre et pour nous éclairer frontalement sur leur vécu - et c’est tant pis pour nous. Car comme dirait Kung Fu Panda, « leurs poings ont faim de Justice ! ». La prochaine étape étant que la gente féminine trouve sa propre expression quant à l’exercice de son pouvoir nouvellement acquis. Ce n’est que le début d’une longue suite de réactions (plus ou moins violentes) qui nous attend dans un avenir proche. Car le Pouvoir permet (aussi) d’assouvir sa vengeance.
D’abord, comment définir le « Pouvoir » en entreprise ? Pour le site « Économie matin » « De fait, le pouvoir (en entreprise) peut être défini comme la capacité d'influer sur l'agir d'autrui, que cela concerne une personne ou un groupe. » Dans l’entreprise, il peut être multiple… On pense au pouvoir de l’employeur et donc au pouvoir qui née de la gestion de l’entreprise, au pouvoir de direction, au pouvoir réglementaire et disciplinaire et enfin au pouvoir qui née de sa délégation. Je mettrai de côté le pouvoir basé sur la relation client – un sujet en lui-même.
D’une façon plus générale, c’est le lien de subordination employeur/employé qui n’est fondamentalement basé que sur un rapport d’argent. Le contrat est simple : je te paie contre ton obéissance et ton travail, fixant par contrat son volume, sa récurrence, sa localisation… Etc. C’est malgré tout un rapport gagnant/gagnant car en acceptant d’obéir et d’agir contre finance, je renonce à ma responsabilité et à mon droit de regard légitime sur le résultat final et surtout global. Mon investissement personnel ne se limitant qu’à mon apport tarifé à l’entreprise. Qu’il soit positif ou négatif (le résultat), nous y trouvons un vrai confort de vie et la possibilité de garder l’esprit « libre ». Hors comparaison hasardeuse, le Troisième Reich a poussé cette logique dans ses derniers retranchements en découpant leurs pires projets en une série de micro-tâches dé-corrélées les unes des autres pour que chaque maillon humain s’affranchisse du sentiment de responsabilité globale. Il y avait le type qui conduisait, le type qui faisait monter les juifs dans le train, le type qui conduisait le train, le type qui ouvrait le train… Etc. Chacun pouvant accommoder sa conscience avec son micro-bout de responsabilité quant à la Solution Finale. Dans tous les cas, au final, on n’entendra comme excuse qu’un « je ne savais pas, je n’ai fait qu’obéir ». Bien sûr, je ne compare pas l’entreprise moderne au Troisième Reich. Pourtant certaines mécaniques sont éternellement reproduites et utilisées par l’être humain pour exercer le plus efficacement possible… Son pouvoir. Dans l’entreprise pour laquelle je travaille, je ne sais rien de ce qui « ne me regarde pas » : salaires des autres salariés, états des comptes de l’entreprise, résultats et productivité de chacun … Etc. L’ignorance me permet de mieux vivre et d’obéir sans contester. L’ignorance me permet d’imaginer (voir rêver) la situation économique et hiérarchique de mon collègue. Grâce à ce dispositif, merci patron, je me sens mieux puisque l’autre est forcément moins bien loti que moi-même.
Contrairement au pouvoir politique qui repose sur une forme de légitimité passant par les urnes, une constitution, des lois, une appartenance politique, une expérience et des convictions, le pouvoir dans l’entreprise ne repose sur par grand-chose. Nos dirigeants étant juste là les premiers (parfois) ou ayant hérité de l’entreprise (au pire). Vous avez sans doute remarqué que nous vivons dans un monde où les « fils de » - que ça soit dans le show business ou dans le monde économique - règnent en maître. Par exemple et en toute partialité, le seul réel talent de Charlotte Gainsbourg est d’être la fille de son père. Les fils Dassault ou Decaux ont-ils hérité, via l’hérédité familliale, d’un talent de gestionnaire leur permettant de nous diriger brillamment ? Je ne le pense pas. Ils ont sans doute eu, dans le meilleur des cas, les moyens de s’offrir des études et une éducation de très haute qualité. Sont-ils légitimes ? Sans doute autant que moi si nous portions le même nom. Du coup, la plupart du temps, l’entreprise appartient juridiquement à ses dirigeants simplement parce qu’ils ont investi leur argent dans le capital (c’est le cas d’un grand nombre de PME et TPE). Sont-ils « aptes » ou « formés » ? Sont-ils de vrais « dirigeants » ? Bref, « savent-ils » ? Sans doute « pas toujours », voir presque jamais. Du coup et pour « raccourcir » cet état de fait, l’Argent légitime le Pouvoir. Une sorte de paradoxe qui exclue, de base, ceux qui n’en n’ont pas (de l’argent).
Donc pour résumer, l’argent me donne accès au pouvoir tandis que le pouvoir est un moyen de m’enrichir. Le capitalisme génère des mécaniques d’autodéfense qui protègent ceux qui possèdent. Sans doute un peu simpliste comme analyse et pourtant... Rappelons, que d’après le dictionnaire Larousse : « le capitalisme est un système de production dont les fondements sont l'entreprise privée et la liberté du marché » Il s’agit du système économique dominant et le (quasi) seul en vigueur même si la Chine, Cuba, le Laos, le Viet Nam et la Corée du Nord sont officiellement (encore) communistes. 4 pays asiatiques sur 5, faut-il y voir un signe fort ? Je rigole, bien sûr. Dans cette définition plutôt scolaire (j’aurais pu la croiser avec une approche marxiste, un peu plus agressive), ce qui me semble intéressant c’est la place centrale que prend l’« entreprise privée ». Et derrière cette dite entreprise « privée », le Pouvoir qui va bien tel que décrit précédemment. Donc et c’est là, pour moi, le plus consternant, ce qui régit une grande partie de nos vies quotidiennes (notre travail) peut être dirigé et appartenir à n’importe qui du moment qu’il en ait le pouvoir et/ou les moyens. Sans qu’aucune structure ou organisation ne vérifie quoi que ce soit quant à ce dirigeant. En tant que collaborateurs, oserons-nous demander ses diplômes à notre Directeur ? Il est vrai qu’il existe un code du travail et des lois pour nous protéger en tant qu’employé… Mais il existe aussi des avocats pour détourner ces lois. Détail symptomatique, le tribunal qui statue quant à ces problématiques employeurs/employés est une exception dans le monde juridique français puisque tous les magistrats qui y siègent sont des « non-professionnels ». Ce sont, la plupart du temps, des représentants du patronat, des syndicats, des salariés… Etc. Comme si, le contexte et les raisons de l’Entreprise ne pouvaient pas être compris en dehors du Monde de l’entreprise. C’est peut-être une volonté d’appliquer la loi « entre amis » sans qu’un « non-initié » puisse s’en mêler. C’est peut-être (aussi) un moyen de trouver des formes d’arrangements avec la Loi avec un grand L.
Il existe d’autres approches quant au Pouvoir dans l’entreprise. Je viens juste d’évoquer le rapport employeur/employés mais il serait intéressant d’élargir au rapport encadrants/encadrés. Là aussi, celui qui dirige veut le faire savoir sans qu’aucune ambiguïté ne soit possible : il est le chef de la meute. Quitte à exprimer la face sombre de son orgueil. Je me souviens de ce cadre qui n’engageait, dans ses équipes, que des « profils » susceptibles d’être complétement soumis à sa volonté. Le terme « profil » évitera de parler, de « face », à de vrais gens. Bizarrement ces « encadrés » (un poil lèche-boules) sont souvent soumis et transis d’admiration pour un chef finalement assez peu talentueux. Au final, cette équipe n’est qu’un ramassis de « pas très bons ». Car, à n’en pas douter, un vrai bon ne voudra pas être dirigé par un chef aussi médiocre, lisible et prévisible. Au royaume des aveugles, le borgne est roi. Cet « encadrant » ne manquera jamais une occasion de rappeler à tous et à quel point, grande est son expérience et infini est son savoir. Il se légitime en faisant beaucoup de bruits. Souvent pour rien... (Mais je cite Shakespeare). Rien de pire que les chefaillons qui aiment terroriser leurs stagiaires. La terreur, justement, peut-être un indice révélant le mauvais exercice du pouvoir. Une étude de 2017 (réalisée par Stimulus) révèle que « 52% des salariés français présentent un niveau élevé d'anxiété et 16% "ont probablement un trouble anxieux ». Les causes premières sont liées à la nature même du travail : la Peur pour l’employé de « ne pas y arriver », « ne pas s’adapter » ... Etc. Par contre, tout juste derrière, viennent la « non-participation aux décisions touchant à son travail » suivi du « manque de soutien moral » et des gens « impolis » qui « aiment faire souffrir ». Sur ces raisons plane forcément l’ombre d’un pouvoir mal exercé. Et comme disait Montesquieu : « « C’est une expérience éternelle, que tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser ». C’est du moins un point mis en lumière par un certain Dacher Keltner lors de très sérieuses études menées sur le sujet : « « les gens en position de pouvoir dans les entreprises sont trois fois plus susceptibles que ceux des échelons inférieurs d’interrompre leurs collègues, de faire plusieurs choses en même temps pendant les réunions, de ne pas écouter les autres, de hausser le ton ou de tenir des propos perçus par leurs subordonnés ou leurs collègues comme déplacés voire offensants. » L’exercice du pouvoir permet donc de nier (symboliquement) l’existence de l’autre et d’une façon plus générale permet de passer outre certaines conventions sociales et autres politesses fondement d’un respect « de base » mutuel et nécessaire. Alors, le Pouvoir a-t-il cette étrange vertu ? Peut-il annihiler une partie de l’Humanité qui nous caractérise ? Quand on lit la triste biographie de Steve Jobs (de Walter Isaacson, 2011 - biographie officielle qui plus est), super star de l’IT et homme de pouvoir, on découvre que le fondateur d’Apple était, au quotidien, un quasi-psychopathe. Mais on l’excuse, c’était un génie visionnaire, un chef d’entreprise 2.0. Un micro-exemple, mais un parmi des milliers d’autre. Un exemple qui donne à réfléchir quant à notre fascination pour des chefs d’entreprise peu ou pas fréquentables qui ont su parfaitement pourrir, tout au long de leur carrière, le quotidien de leurs collaborateurs. Oui mais tellement brillant le Steve Jobs.
Par le passé, jeunes et motivés, nous pensions que l’on pouvait mettre en place un autre type d’organisation dans l’entreprise basé sur une forme d’équité tant au niveau du pouvoir et de son exercice, qu’au niveau des responsabilités qui en découlent. Nous avons monté des entreprises basées sur une forme simplifiée d’autogestion. Le concept de l’autogestion est né du mouvement ouvrier et de certains événements historiques et culturels : la Commune, la Révolution Espagnole, les Kibboutz d’Israël, etc… Cette approche a aussi été revendiquée par le mouvement anarchiste. Défini de cette façon, ça fout les jetons et on s’imagine au soir du grand soir, drapeau noir en main, faire sa fête au patronat. Je sais que l’Anarchie veut dire pour la plupart « bordel intégral ». Une bonne façon d’évacuer l’intelligence de ce courant. Mais mettons de côté nos préjugés, les anarchistes sont très organisés.
Dans les années 60 (au siècle dernier), ce sont les syndicats qui ont fait leur cette vision à l’issu d’un événement qui est devenu un repère absolu : Mai 68. Mais des idéaux chevaleresques de ce joli mois de Mai et de cette volonté d’abolir le pouvoir, ne restent que des catogans, un semblant de coolitude et un vague discours gauchisant. Il n’y a pas pire patron qu’un type qui était sur les barricades et au Panthéon. Ce type qui a le Pouvoir mais qui veut être aimé. Croyez-moi, j’en ai croisé des tas, souvent patrons d’agence de pub, prêts à se souvenir, la larme à l’œil, de cette révolution qui n’a rien changé, juste conforté la position dominante de la Bourgeoisie et un peu ramolli le pouvoir en place. Reste les slogans et les affiches, beaux et graphiques, de la pure nostalgie qui s’insurge et rejette le pouvoir (de l’époque).
Mais revenons à l’autogestion. Elle implique la suppression de toute distinction entre dirigeants et dirigés et surtout une capacité de s'organiser sans leader. Sur le papier, l’idée est évidente, presque du bon sens puisqu’elle abolie le Pouvoir et ses effets négatifs. Elle sous-entend, aussi, que l’on fasse passer le groupe avant soi-même et que l’on renonce à évoluer (étant de base « au sommet »). Ce qui est parfois difficile. Cependant, elle n’intègre pas un facteur essentiel, nous ne sommes pas tous égaux. En termes de capacités, de compréhension, de savoir… Etc. Plus frappant encore, nous n’avons pas tous la même forme d’intelligence… Ce n’est pas un jugement moral, mais bien un constat. Du coup, nous n’accordons pas la même valeur à ce qui constitue ou devrait constituer une entreprise. Nous ne plaçons pas le Pouvoir dans l’Entreprise au même endroit. D’où, d’entrée, une incompréhension entre les autogestionnaires. Les règles du jeu ne sont que trop rarement décidées, dès le début, dans ce type d’entreprise. Souvent, on part de pas grand-chose (avec de grands idéaux) mais dès qu’un petit pécule se constitue, la motivation de chacun évolue. Et là, ça devient chacun pour sa gueule.
Prenons un exemple simple, aujourd’hui, qu’est-ce qui est le plus important selon vous ? Trouver un nouveau client ou produire pour ce nouveau client ? Si votre activité professionnelle ne nécessite pas une grande valeur ajoutée intellectuelle, votre apport productif est nul (à l’échelle – entre autres – de votre concurrence) et seul le client et sa capacité financière a une valeur. Produire ici ou en Chine n’y change rien. D’un autre côté, si on se met à la place de celui qui va produire pour ce client… Alors, évidemment c’est uniquement son travail qui compte et qui fait vivre l’entreprise. Sinon, quelle est sa raison d’exister économiquement ? Autre point de vue, celui du commercial. Pour lui, seule la signature du contrat importe. Le reste peut être sous-traité. Cette dernière approche est, sans doute, la vision dominante du moment. Il nous reste pourtant un vague souvenir des débuts de l’économie de marché où ce qui était produit se vendait automatiquement. La demande était bien plus forte que l’offre. S’arrêter de produire voulait dire perdre de l’argent. La classe ouvrière avait un poids et un réel « pouvoir » sur l’économie. Mais, ça c’était avant. Aujourd’hui, on licencie pour préserver sa marge et seul l’argent bien placé en bourse peut rapporter beaucoup plus d’argent qu’un travail valorisé et vendu. Le reste n’est que péripéties économiques. La cheville ouvrière n’a plus aucun pouvoir et est une espèce en voie d’extinction. D’aucuns pensent que l’ouvrier d’hier et même devenu « le petit bourgeois » (façon Balzac) d’aujourd’hui. L’appât du confort, des congés payés et autres écrans 72 cm ont mis fin à toute volonté de contester le Pouvoir en place. Reste la préservation des acquis sociaux, seule raison valable de descendre dans la rue. Mais là, je m’égare. Ma tendre enfance ressemble à un mauvais chapitre d’Émile Zola. A ma naissance, j’ai été mis en nourrice, à la campagne, dans une famille d’accueil. Une famille de « prolétaires » adorables et très attentionnés qui m’ont élevé et nourri avec amour et gentillesse. Mais, selon eux, « travailler » voulait dire « aller à l’usine ». « Travailler dans un bureau » équivalait à ne rien faire et « n’importe qui peut faire ce que font les patrons ». Eux ou n’importe qui d’autres, c’est la même chose. Je me souviens avoir tremblé, lorsque arrivé à l’âge adulte, j’ai dû leur avouer que j’allais travailler dans la Publicité. Voilà un bel exemple d’esprit typiquement ouvrier et d’idéologie prônée par un OS qui en 40 ans de carrière n’a jamais pu ou voulu accéder à d’autres responsabilités en termes d’encadrement. Un micro exemple ultra-personnel mais qui donne une bonne indication d’un état d’esprit qui a longtemps subsisté. Et que j’ai souvent croisé dans cette catégorie sociale. Il y a les « vrais » (sous-entendu, les ouvriers) et les autres. Dieu merci, mes parents biologiques, petits bourgeois et éduqués, m’ont transmis d’autres idées.
Mais revenons un peu à la valeur du travail. Aujourd’hui, elle est proche du zéro. Alors, l’échanger contre un salaire est « un cadeau que l’on vous fait ». C’est du moins ce qui flotte dans l’air, un sous-entendu inavouable et pourtant présent à chaque instant de votre vie professionnelle. Un moyen de pression et la sanction qui accompagne l’exercice du pouvoir. Surtout quand vous avez passé 50 ans. Là vous devenez un senior remplaçable par un junior qui voudra faire plus pour beaucoup moins. A moins de posséder un savoir et une expertise unique. Là, le schéma est différent ! Quel que soit votre âge, vous n’avez pas besoin de commerciaux, ni de marketing… ni d’entreprise. On vient vous chercher ! Et pas besoin d’encadrement, d’avantages sociaux ni même de RTT. Vous avez le Pouvoir puisque vous avez le savoir. Un cas de figure relativement rare mais carrément idéal ! Ce cas de figure est précisément l’Avenir : l’ultra-spécialisation et donc, pour l’obtenir, l’éducation comme principal moyen de partager équitablement ce pouvoir dont tout le monde rêve ! J’ai donc appris – d’une façon parfois difficile - que l’autogestion implique que différents points de vue se combinent et surtout se complètent pour qu’un collectif viable puisse exister. Il faut avoir le courage de rester en petits groupes. Le nombre ralentissant notre capacité à prendre des décisions. Ce qui, mis en pratique, est – au bout d’un moment - impossible ! Il y a donc une forme de malédiction qui prévaut. Au final, pour que notre modèle économique capitalistique perdure, il faut un chef et le pouvoir qui va avec. C’est une nécessité. L’Homme est un animal social qui a besoin d’être dirigé pour vivre. Je pense sincèrement qu’obéir nous rend heureux.
A ce stade de mon texte, il me faut préciser que je ne suis ni de gauche, ni de droite. En réalité, cette approche binaire et simpliste est une insulte à notre intelligence. Le monde qui nous entoure est loin d’être binaire. Je suis simplement surpris qu’un type de pouvoir aussi fort puisque impactant l’individu dans sa vie quotidienne et ce pendant au moins 40 ans, ne soit pas encadré. Du moins à priori, puisque a posteriori, il y a toujours la possibilité de présenter ses griefs devant un tribunal. Je suis également surpris qu’il n’existe pas d’alternatives à un modèle économique qui permette tous les abus au nom de la propriété et l’argent, qu’importe l’individu et qu’importe d’où vienne l’argent.
Une fois sur les rails d’une « carrière », on ne devrait se soucier que de sa « mission » ou de son métier. Alors pourquoi se battre pour autre chose ? Une « autre chose » aussi hypothétique qu’abstraite. Pourquoi ces luttes de pouvoir ? Ma thèse est que la seule chose qui nous motive réellement, c’est ce besoin de conquête, ce besoin de diriger. Comme lorsque nous affrontions les mammouths laineux. D’une façon presque mythique, être l’élu. En réalité, dans toutes organisations, c’est une lutte pour imposer sa vision qui est au cœur du combat. Même si notre vision ne se limite qu’aux verres correcteurs prescrits par l’ophtalmo., on « veut avoir raison ». Ce n’est pas sans me rappeler les combats de cours de récréation où le plus fort était forcément le plus intelligent.
Bien sûr, en écrivant ces lignes, je me rends compte à quel point j’enfonce des portes ouvertes et me fait le témoins - comme tant d’autres avant moi - des mêmes clichés. A ma décharge, je suis une sorte d’Hibernatus de l’entreprise. J’ai débuté, il y a fort longtemps, dans une très grosse entreprise où mon très jeune âge n’était un danger pour personne. Puis, aventureux et en quête de sensations, j’ai monté des business pour me préserver de ces luttes fratricides, de ce pouvoir dévastateur… En devenant, très vite un chef. Comme tous ceux avec qui je travaillais alors, éludant de fait la question du contrôle de l’entreprise et de l’exercice du pouvoir. Cette position m’a épargné bien des combats. Et puis, au bout de 25 ans je me suis replongé dans le grand bain et du même coup devenu le témoin étonné de l’évolution d’un monde où je ne peux plus vraiment exister. Pas qu’il soit mauvais ou hostile, non simplement, j’habite une ile déserte depuis trop longtemps. Et ce n’est pas à mon âge que je vais partir à la conquête du monde économique. Au fond, très au fond, je me fous complétement du Pouvoir et de tout ce qui va avec. Je n’ai aucune ambition corporate, je ne me bats pas pour gravir les échelons. Je les ai tous gravi, il y a bien longtemps. Pardon, ça, c’est un peu prétentieux...
Bien sûr, dans la plupart des entreprises, bien dans leur époque, on mettra en avant pour recruter un « management humble et équitable ». Autant parler d’un riot gun qui ne serait pas fait pour tuer ou une mine anti-personnel spéciale prévention. Ce management qui, dans le meilleur des cas, est inexistant. Combien de fois ai-je entendu : « ça se passe bien, mon manager n’est jamais là. » ? Pour ma part, j’ai de la chance. J’estime mon manager et son management est juste. J’estime l’entreprise dans laquelle je travaille parce qu’elle fédère des individus de grande qualité. Pour autant, tout est en place pour me rappeler, en permanence, que telle ou telle personne est au-dessus de moi, que je lui dois allégeance et soumission et ce quel que soit mon parcours passé. Il faut soumettre à bidule et demander l’avis de trucmuche, par mail, via un « focus group » ou un point d’avancement régulier. Le tout pour mon bien, bien sûr. Et puis, il y a tout ceux qui aimeraient me défaire de tout ou partie du peu de pouvoir que j’ai pu acquérir par mon expérience et mon passé. D’une part, il me faut obéir quoi qu’il arrive et de l’autre me battre pour « tenir mon rang » et donc forcer les autres à m’obéir. Quant à mes réelles capacités, tout le monde s’en fout. Enfin, il me faut aussi concilier avec les plus jeunes de mes « collègues » en quête de pouvoir qui n’ont pas le quart de mon expérience mais qui m’expliquent la vie et souvent un travail que je pratique depuis plus de 30 ans. Une arrogance plutôt rafraichissante.
« Le capitalisme engendre l’exercice d’un pouvoir nocif ». Cette phrase est un lieu commun. Pourtant on parle aujourd’hui de « Capitalisme conscient » qui aurait « un objectif supérieur et des valeurs fondamentales » et qui reposerait sur trois points : « L’intégration des parties prenantes », un « Leadership conscient » et une « culture et une gestion conscientes ». Une brillante idée que l’on doit à un certain John Mackey qui montre à quelle point le Capitalisme engendre des mauvaises consciences. On veut bien d’une structure hiérarchique verticale mais pas trop quand même. On peut exploiter les strates inférieures pour faire des profits indécents mais avec courtoisie et gentillesse. On veut avoir le Pouvoir et être remercié d’en avoir fait si bon usage.
Là, j’aimerai révéler au monde ébahi, mon mode d’emploi ou comment « bien » exercer son pouvoir sur ma petite personne. Je sais que pour être bien dirigé, il faut que mon affect soit mis dans la balance. Quitte à adopter des réactions de jeunes vierges pré-pubères quand mon chef adoré ne me « regarde plus », ne me parle plus, « préfère » le nouveau venu. Cet affect est le levier. Il vient de mon éducation. L’histoire d’amour qui me permet de tout supporter et de me dépasser. Quand il m’est arrivé d’être chef, ma première réaction a été d’éviter de rentrer dans cette spirale de la relation humaine. Puis d’adopter une forme de gentillesse typiquement paternaliste. En tous cas, faire attention aux autres pour ne pas subir leur rejet et – bien souvent – les laisser faire ce qu’ils voulaient pour éviter le conflit. Certains de mes anciens esclaves me remercient encore, d’autres pensent que j’ai agi comme un gros naze. Ce qui n’est pas complétement faux. L’exercice basique du pouvoir me renvoyait une image de moi-même vraiment inacceptable. Malheureusement, j’ai une très haute opinion de moi-même. Du coup, je ne suis pas un très bon manager, j’avoue trop facilement mes limites et fait confiance a priori mais surtout parce que cela m’évite de devoir surveiller et sanctionner. Le respect de l’autre est pour moi une nécessité qui me donne bonne conscience et m’a (en partie) fermé les portes d’un certain type de succès. En ne me trahissant pas, j’ai – aussi- abandonné toutes chances de réussite. Dans notre organisation pyramidale globale, pour atteindre le sommet il faut être prêt à exercer le Pouvoir sans se poser de question. Sans hésiter et sans se questionner. Sans se soucier des détails ou de l’affect des autres. Sans se soucier des conséquences, aussi. En mon temps, je n’ai pas pu... Et tant pis si j’ai mis en danger mon business et sa réussite. Ainsi, je me suis longtemps protégé du reste du Monde en créant mes propres modèles d’entreprise mais en échouant systématiquement quand il était question d’entrer dans la cour des grands et de réaliser un chiffre d’affaires d’entreprise conséquent. On ne peut pas être dans le système et, en même temps, à l’extérieur. On ne peut pas refuser le Pouvoir et en même temps l’exercer. Depuis, je suis repassé au salariat qui comme toute chose dans ce bas monde, peut s’avérer en partie positif (j’ai retrouvé l’esprit libre) et en partie négatif (je dois obéir à des managers bien moins expérimentés, pour ne pas dire intelligents). Plus j’avance, plus je m’aperçois de la complexité du sujet et des multiples nuances que j’ai mis de côté dans ce texte. Je m’en excuse. C’est peut-être le début d’une série d’articles, voire d’un livre ! Mais au final, dans l’entreprise, tout tourne autour du Pouvoir : celui que l’on voudrait, celui que l’on a, celui que l’on vous retire ou celui que l’on va avoir. Momentanément ou définitivement.
Pour conclure et pour répondre à la question posée dans mon titre, j’aimerai simplement citer Platon : « La plupart des hommes au pouvoir deviennent des méchants ».